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NUITS BLANCHES DANS LA CORDILLERE



... ou l'histoire de la Souris Bulle attrapée deux nuits dans la poudreuse.






La journée promettait un vol en montagne magnifique. Après 2 semaines de chutes de neiges intensives le soleil réapparaissait sur les Asturies.
La Cordillère Cantabrique apparaissait alors chargée de neige comme cela faisait 20 ans qu’elle n’était pas apparue.
Certains villages en montagne allaient pouvoir enfin être libérés puis ravitaillés. Pendant plusieurs jours tous les cols de montagne qui unissent les Asturies avec Castille étaient fermés. Même le col du Huerna et son autoroute ne laissaient personne passer.


Tout est prêt …


Prête depuis plusieurs jours dans son hangar, « Papa Juliet » ne demande qu’à partir pour un autre vol en montagne dont elle raffole.
Raquettes, corde, pelle à neige, plein de carburant, bouteille d’eau, lunettes de glacier, bottes de montagne, bâtons, vêtements de skis, batterie auxiliaire….
sans oublier les caméras et leurs batteries chargées.

Décollage à midi…


« Papa Juliet » s’annonce pour alignement de la 10 à midi pile.
Peu après le décollage on passe en « mode skis » pour un cap plein sud.
La Cordillère est magnifique.
Les premiers contreforts sont déjà chargés de neige et j’imagine une belle couche à mon point d’arrivée.
A peine 20 minutes après le décollage nous survolons le site.
J’ai beau le connaître parfaitement, l’énorme couche de neige semble changer tous mes repères.
J’effectue 3 passages de reconnaissance de façon à m’assurer exactement de l’axe d’atterrissage.




Je remarque que la nouvelle antenne de mesures météo pour un éventuel parc éolique est bien chargée en neige. Même ses haubans sont blancs.

En finale sur la poudreuse…

L’axe de piste déterminé, nous voilà en finale sur un magnifique plateau de 150m de poudreuse.
Les arbres en dessous sont extrêmement chargés en neige.



La température extérieure est de tout juste +2°C et l’air a une densité excellente.
L’approche s’effectue facilement car il n’y a pas de vent. Tout est parfait.

Dès le touché des skis…

Il me semble être posé mais….je n’ai rien senti !
La seule sensation qui me confirme que je ne vole plus est une décélération bien plus forte que d’habitude.
Je dois tout de suite mettre le moteur à fond pour ne pas nous arrêter.



Nous glissons lentement, moteur à fond, vers la fin de la piste qui me parait bien loin.
Notre point de virage est situé au niveau de 3 arbustes qui montrent le bout de leur nez et qui nous servent de repère pour effectuer un demi tour afin de nous placer dans l'axe de décollage.

En descendant de la Souris Bulle…

Moteur coupé et verrière ouverte j’admire le paysage.
Quelle beauté ! Quel calme ! Seul là en haut la sensation de liberté est totale.
En posant mes bottes sur la neige, j’ai la confirmation que nous venons d’atterrir sur une énorme couche de neige poudreuse :
50 centimètres…c’est facile à mesurer: c’est juste ce que mesurent mes jambes du talon au genou!



La neige est d’une légèreté incroyable. Impossible de la compacter on dirait du sable extrêmement fin et sec.
Tous ces signes me font pressentir que le décollage sera difficile mais il n’est pas encore 13h, le soleil est au zénith et il est temps de prendre quelques photos de ce paysage aussi impressionnant que majestueux.
Pour me déplacer plus à l’aise dans la poudreuse je décide de chausser les raquettes, j’en aurais besoin de toute façon pour aller reconnaître plus tard mon axe précis de décollage.

Des photos pour la famille et les copains…

Tout le monde n’a pas la chance de pouvoir savourer en direct des images d’un tel paysage.
L’endroit et l’instant sont uniques. Il y a quelques jours un copain d’ Air Souris Set m’a fait cadeau d’un magnifique livre.
Quand ce livre a été édité en 1966 je n’étais même pas né : « Herman Geiger pilote de glacier ».
Un vieux livre qui aura fait rêver plus d’un montagnard et plus d’un aviateur. Merci Bernard !



Le soleil au zénith….


En montagne l’hiver, le soleil court vite….et même si le paysage est grandiose, le soleil agréable et la neige magique, il ne faut pas oublier de garder de la marge pour rentrer au bercail.
Il est temps de passer en mode décollage mais avant de le faire je décide d’aller faire quelques prises de vitesse et ainsi contrôler l’accélération et la glisse.
Pour bouger il me faudra damer la neige devant les skis sur quelques mètres afin d’amorcer le mouvement.



Impossible d'accélérer ...

Après 5 tentatives d’accélération force est de constater que nous ne rentrerons pas aujourd’hui en vol!
Moteur à fond en reprenant mes propres traces, mon anémomètre ne décolle pas de sa butée zéro.
Les skis s’enfoncent et « Papa Juliet » semble rester collée à la neige.



Il faut prendre une décision….

Il est 14h30 et il me faut prendre une décision. Cela fait 1/2h que j’essaie de décoller sans succès.
Même en damant mes marques de décollage avec les raquettes, la vitesse prise n’est pas suffisante pour un décollage.
Un coup d’oeil aux prévisions météo des jours qui viennent donnent de la pluie et de la neige mais pas trop de vent.
Je prends donc la décision de ne pas tarder à harnacher ma Souris au sol.
Pour cela, je creuse avec la pelle deux trous pour y enterrer les raquettes ou j’y accroche à chacune une corde.
En tassant la neige au-dessus la fixation est sûre.
Comme j’ai une bonne couverture data et téléphone, j’informe Michel de mes déboires et aussitôt son aide est en marche.
Je lui envoie des photos de la situation et nous conversons.
« Pas d’imprudence Marcos, la Souris Bulle est entière et toi aussi.
Passer une ou deux nuits dehors même en montagne ce n’est pas si grave.
Même si il pleut demain, l’ami Géraud avait très bien protégé la structure en bois ».
A plus de mille kilomètres l’un de l’autre c’est comme si nous étions ensemble, ici sur ce plateau enneigé et Géraud est aussi un peu avec nous.



Housse de capot moteur et housse de verrière en place et voilà « Papa Juliet » prête pour passer une nuit blanche dans la Cordillère Cantabrique.
Il est 15h30 et je dois commencer à descendre au village.
Il est à 3,5km mais, sans mes raquettes la descente dans cette neige ne sera pas rapide.
Je suis heureusement très bien équipé et j’ai devant moi tout de même 3h avant le coucher du soleil.
Je regarde Papa Juliet qui restera cette nuit seule sur le plateau….la montagne lui va si bien !



La descente me prendra 2h30 et par endroit j’enfonce totalement mes jambes.
Mes bâtons de skis me sont d’une grande aide tout de même.
Arrivé en bas, j’attends pendant 1h mon beau-père qui vient me chercher sur le parking du village.
La moitié des gens du village est là, en train de déneiger leur portail, la sortie de leur voiture, le toit de leur maison et je me mêle à leur conversation.
Je les connais presque tous depuis le temps que je viens me poser sur ce site.
Personne ne s’était rendu compte de mon atterrissage là en haut.
Je leur raconte mon aventure et pour eux il n’y a rien d’exceptionnel.
Ils sont restés bloqués durant 3 jours dans leur maison, eux aussi savent ce que c’est…
Arrivé à la maison, nous conversons de nouveau avec Michel.
Entre temps il a fait ses recherches sur les différents types de neiges et m’envoie un manuel intitulé : « Conseils pour les atterrissages sur glaciers ».
A la page 20/46 du manuel voilà ce qui est écrit :

Et oui, tout est écrit ou presque sur le vol montagne.
Avant nous, plusieurs générations d’aviateurs montagnards ont défriché les sommets et ont commis les mêmes erreurs que je suis en train de commettre. Je n’oublierai sûrement pas la leçon d’aujourd’hui et je sais que j’ai encore beaucoup à apprendre.
Dernier conseil de Michel le soir venu : « Dors bien, ne sois pas inquiet car la montagne est bienveillante quand on la respecte ».
Je me dis que j’ai de la chance d’avoir un Papa aéronautique comme lui….

Pluie, neige et vent…

C’est à 6h du matin que naturellement je me réveille le lendemain.
Dehors il pleut. Je suis sur site en bas au village à 7h30.
Peaux sous les skis, équipement froid et pluie et me voilà parti pour 1h30 de randonnée.
Bien avant d’arriver sur le plateau, je ne vois rien. Le brouillard est très épais, le vent souffle modérément et les averses de pluie sont fortes.
Il fait 1°C mais les conditions pour qu’il neige ne sont pas réunies.
Dans mon malheur je sais que j’ai de la chance car cette pluie provoquera un changement d’état obligatoire de la poudreuse.
Je connais heureusement très bien l’endroit et les quelques repères que je peux apercevoir me confirment ma position à tout moment.
Ma visite d’aujourd’hui sera uniquement pour bâcher la partie des ailes avec le fuselage et le parebrise de la place arrière pour éviter les infiltrations d’eau dans la cabine.
J’en profiterais aussi pour contrôler les ancrages au sol de ma Souris.
Je chemine sur la neige quand tout à coup….elle apparait au beau milieu du brouillard :



Je suis heureux de la revoir. Elle n’a pas bougé.
Bâche et tendeurs en main je la recouvre vite car l’averse de pluie est vraiment très forte.
Les amarres n’ont pas bougé. En fait la poudreuse s’est tassée faisant que les raquettes sont à présent impossibles à extraire sans une pelle.



Je suis trempé mais rassuré.
Dans mon sac à dos un thermos avec une soupe bien chaude m’attend.
Je me glisse dans le cockpit pour me protéger du vent et de la pluie, aucun de nous deux ne sommes seul puisque nous sommes ensemble….



Il est temps de repartir car sous ces conditions j’ai besoin d’être en mouvement.
La descente se fera sans aucune visibilité donc prudence.



Arrivé chez moi, coup de téléphone de Michel.
Nous savons tous les deux que demain les conditions météo seront meilleures.
Je lui fais part de mon idée pour démarrer le moteur et lui me donne de précieux conseils pour dégeler ma Souris.
Je prendrai dans mon sac un petit réchaud à gaz et un tuyau en alu type accordéon.
Avec ça je pourrai préchauffer le moteur sous le capot.
Une batterie d’appoint au Lithium que j’ai toujours avec moi au cas où sera aussi du voyage.
« Emporte avec toi une brosse pour enlever la neige et surtout du liquide lave glace avec antigel avec lequel tu pulvériseras les ailes et les empennages.
Au décollage, ton extrados souffrira une baisse de 2°C, fais attention au gel ».
Les conseils de Michel sont sacrés, aussitôt dit et aussitôt préparés dans mon sac à dos pour demain.

Le calme après la tempête…

Et c’est naturellement qu’à 6h du matin je m’extrais de mon lit.
Ma Souris Bulle m’attend. Je sais qu’elle aura passé la plus froide nuit de son existence.
Arrivé au village à 7h30, 1/2h pour tout préparer et c’est encore de nuit que je démarre l’ascension.
Quelques copeaux de neige tombent mais je sais que je vais vers l’amélioration, au moins jusqu’à 17h car un nouveau front est prévu.
En bas dans la vallée, les villages enneigés ont encore leur éclairage chaleureux.



Cette fois-ci la montée me prendra 1h20.
Le cheminement devient plus facile car la neige s’est tassée grâce à la pluie.
Puis elle apparait de nouveau et j’ai hâte de la voir de plus près.



En me rapprochant d’elle je prends conscience de la froideur de la nuit.
Après la pluie toute la nuit, le ciel s’est dégagé et la température est passée en négatif.
Toute l’eau déposée sur ma Souris s’est alors gelée avant d’être recouverte par une fine couche de neige.



Elle est gelée sur place. Ses housses en tissu trempées puis gelées sont dures comme du carbone.



Je sais que j’ai 3 objectifs à accomplir aujourd’hui:
.o Remettre ma Souris Bulle dans l’axe de décollage (je l’avais laissée dos au vent)
.o Démarrer le moteur
.o Décoller du plateau enneigé et rentrer à l’aéroclub.

La neige sous les skis ayant fondu avec la pluie puis gelé ensuite, il me faut les décoller sans rien casser.
C’est dans un craquement sourd qu’ils se décollent de la croûte de neige.
Je dégage la neige tout autour avec la pelle pour faciliter la rotation.



Avant toute autre chose, je contrôle aussi que les vérins électriques des skis n’ont pas souffert de l’eau et du gel…
Ca sera utile au moment de passer en mode roues en bas dans la plaine.



Pendant que je déneigerais toute la cellule, j’aurais le temps de préchauffer le compartiment moteur.
Réchaud de gaz installé, tuyau en place et c’est parti pour le préchauffage :





Et c’est parti pour la partie nettoyage :







Puis dégivrage :





Mine de rien, la partie nettoyage et dégivrage m’a bien pris 1h de temps.
Vraiment pas le temps d’avoir froid malgré le fait que la température extérieure soit de 0°C.
Du coup le compartiment moteur s’est tranquillement réchauffé. Reste maintenant à voir si le moteur va bien vouloir démarrer.
Puisque j’ai la batterie lithium auxiliaire je la branche, pas question de mettre à plat la batterie au plomb embarquée.
Si le moteur démarre j’aurais rempli 2 points de mon objectif…mais il reste encore à démarrer.
Un petit coup de pompe, démarreur puis starter et le moteur démarre !….
Je le laisse chauffer. Il reste maintenant le 3ème objectif de la journée : Arriver à décoller.



Il est temps de tout ranger en place arrière dans le fuselage.
Les raquettes, sac à dos, les housses, les skis, les bâtons, les bottes de randonnée….tout ranger et tout assurer.



C’est dans ces moments-là qu’on se rend compte que c’est vraiment grand une Souris Bulle.
Quand il ne reste plus que des skis de 1,70m et les bâtons à installer en place arrière
et une fois installés et bien accrochés au siège arrière et qu’on voit qu’on pourrait en mettre une paire de plus !

Cinq tentatives….

Il est midi et le soleil commence à montrer le bout de son nez à travers la couche qui est assez haute.
Dès les premières tentatives de glisse je me rends compte que les conditions se sont améliorées mais que je ne suis pas dans des conditions optimum.
De nouveau je prends l’avis et les conseils de Michel. On ne comprend plus très bien.
Pourtant avec la pluie, la structure de la neige a totalement changé.
On s’interroge sur de possibles changements d’assiette des skis ou de positionnement de la roue par rapport au ski mais force est de constater que rien de tout cela n’a changé.
Lors de la 4ème tentative toujours sur mes propres traces, je ressens une accélération à moitié distance de décollage.
J’ai besoin d’aller voir un peu plus loin de la zone de décollage habituelle pour savoir ce qu’il se passerait si j’allais un peu plus loin.
Me voilà parti à pied au-delà des 150m pour analyser le terrain.
Je remarque qu’a environ 170m il y a une petite marche de maximum 1m qui me permettrait de décoller.
Si je ne décolle pas grâce à cette marche il restera 50m de plat pour effectuer un demitour
mais vu l’état de la neige à cet endroit, je sais que ma Souris restera là car la neige est bosselée et il me sera impossible de revenir au point de départ.
Si je n’ai pas décollé grâce à la marche elle restera sur cette partie du plateau et j’aurai besoin d’aide.
Aucun risque pour cette manoeuvre, juste le fait que je devrai revenir avec de l’aide un autre jour pour pousser ma Souris.
Alignement, mise en puissance des gaz en prenant bien soin de rester sur mes traces et à moitié piste le ski arrière s'est bien levé.
Je dirige enfin correctement ma trajectoire, ma gouverne de profondeur a de l’efficacité.
Quand j’arrive à la marche mon anémomètre marque 50 km/h et ma Souris Bulle décolle!
Elle est au second régime…en effet sol….elle utilise toute la densité de cet air froid…mais elle vole!!
Je rends la main légèrement sans revenir toucher la neige. A ce moment-là je ne regarde aucun instrument de vol.
Elle vole mais je sais qu’elle est au second régime et que cet équilibre est vraiment instable.
Le moindre faux pas et on retourne sur la neige.
La main rendue, moteur à fond elle continue à voler mais cette fois elle n’est plus au second régime car elle a vraiment accéléré.
Je regarde de nouveau mon tableau de bord….tous les paramètres montrent que nous volons normalement.
Nous prenons de l’altitude en effectuant un 360° au-dessus du plateau qui fut nôtre refuge durant ces 2 nuits glacées.
Les traces des skis, des pas, des glissades relatent les difficultés de la Souris attrapée par la montagne.



Arrivés à l’aéroclub nous effectuons une directe sur la 28, roues sorties sur une piste en dur de 1000m….
il y en a comme un peu trop…de piste !
Dans son hangar, ma Souris sera de nouveau chouchoutée.
Je préviens Michel…et aussi ma famille.



Le message de Michel sur mon téléphone :

« La montagne a accouché d’une Souris….Bulle ! ».

De ces deux jours sur ce plateau de la Cordillère il restera beaucoup de choses à analyser, à comprendre et d’enseignement à retenir.
Probablement beaucoup de livres à lire et surement prendre les conseils avisés de pilotes chevronnés.
Aucun vol n’est anodin et encore moins en montagne en hiver.
Sans un bon équipement, sans une claire connaissance des lieux, sans un minimum d’expérience de la randonnée en montagne, la situation peut très vite se compliquer.
Connaître son avion est aussi essentiel. S’entrainer en plaine, en montagne et savoir piloter « aux fesses » est primordial.
Je devrais sûrement aussi revoir les semelles de mes skis.
Après 3 ans d’utilisation sur des « neiges faciles » ces semelles finition peinture ont montré leurs limites.
Nous aurons besoin de les optimiser et de passer à l’échelon supérieur.
La Souris Bulle s’avère être dans tous ces vols un merveilleux avion de montagne. Elle a bien évidement ses limites que grâce à Michel je connais et veille à ne pas dépasser.
Ses qualités de vol sont surprenantes.
Elle est taillée pour être un avion sûr, un avion maniable, un avion que l’on apprend à aimer. Quel bel oiseau !



Marcos Gonzalez

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